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Où est passé le gant de toilette ?

Depuis quelques années, nos salles de bains sont touchées par un étrange phénomène : les gants de toilette ne pendouillent plus à côté des lavabos. Le plus souvent, ils se momifient au fond d’un placard où ils ont toutes les chances de tomber dans l’oubli, mis à part ces rares moments où on les exhume pour les poser, humides, sur le front d’un enfant fiévreux. « Lorsque je mets à disposition de mes invités une parure de bain, le gant de toilette revient toujours sec », constate Anne, 51 ans. « Ma mère m’a refourgué sa collection monogrammée aux initiales de la famille, mais je ne sais pas quoi en faire », avoue Sylvie, 60 ans. Quand il va chez sa grand-mère, Lucas, 16 ans, trouve l’objet « marrant » mais ne l’a pas franchement adopté. On a désormais plus de chance de trouver dans nos cabines de douche une éponge pour détartrer les parois carrelées qu’un bon vieux gant de toilette.
Il faut dire que cette petite poche en coton de quinze par vingt centimètres, passée par toutes les fesses de la maison, n’est pas très ragoûtante. « Le pire, ce sont les modèles de couleur sombre pour cacher la crasse, juge Claire, 52 ans, qui admet avoir été une enfant accro aux gants de toilette (quatre par session de douche). La serviette ne fait pas le même effet parce qu’on l’utilise quand on est propre. » Sans compter que ça sent fort le moisi. « Le gant de toilette attrape des cellules mortes et des bactéries qui pourrissent avec l’humidité, ce qui favorise les mauvaises odeurs, explique Marie Jourdan, dermatologue. Lorsque je me lavais encore de cette façon, j’avais trouvé une petite astuce. Au moment du nettoyage du gant, je faisais passer l’eau par l’intérieur et non par l’extérieur pour que ça fasse tomber tout ce petit bouillon. »
Le dégoût suscité par le machin explique sans doute le peu d’intérêt que lui ont porté les historiens. Alors qu’on trouve des spécialistes calés à peu près dans tous les ustensiles de propreté – la serviette, le bidet, la douche, etc. –, pas un seul ne s’est intéressé au gant de toilette (même l’IA, aujourd’hui, a du mal à générer des images de gants de toilette). Dans Le Propre et le Sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen Age (Seuil, 1985), qui raconte le lent raffinement de l’hygiène, l’historien Georges Vigarello n’en fait pas mention. Au fil des pages, on devine tout de même que le gant de toilette trouve son origine dans le carré de linge blanc avec lequel le courtisan du XVIIe siècle se frottait le visage, à ceci près qu’il n’était pas destiné à être mouillé. A la suite de l’épidémie de peste, l’eau était accusée de tous les maux (troubles de la vue, catarrhes, pâlissement et fragilisation du visage…), ce qui explique que l’ancêtre du gant de toilette décrassait à sec.
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